Quête de sens au travail : à nous de jouer

« Que fais-tu dans la vie ? »

À cette question, nous sommes nombreux à répondre par notre profession, comme si notre activité professionnelle englobait notre vie toute entière, comme si nous n’étions rien en dehors de l’homme qui travaille, qui produit et qui consomme. Ce dictat social ne résout pourtant rien de notre quête identitaire. Le travail apparait plutôt comme une toile de projection de nos aspirations spirituelles : quête de sens de nos existences, de reconnaissance et de liens. Et parce qu’il y est question de construction d’une identité toujours inachevée, le travail est espace d’ambivalence, entre désirs et peurs, soif de liberté et prison des contingences matérielles, rêves et frustrations qu’impose le réel.

Ainsi le travail est-il à la fois Tripalium – instrument de tortures et d’esclavagisme – et Opus – ouvrage issu de la création -, source d’aliénation et de liberté, miroir de soi reflétant tantôt la déception, tantôt la fierté de l’œuvre accomplie.

La crise sanitaire, les confinements successifs, les périodes de chômage partiel, ont suspendu le temps et perturbé presque tous les repères qui organisaient notre quotidien. Dans ce temps suspendu, nous nous sommes retrouvés face à nous-mêmes, dans une introspection qui s’est presque imposée à nous. Alors la question « que fais-tu dans la vie? » est devenue « Qu’est-ce que je fais de ma vie ?« . Question vertigineuse, qui surgit à une période où nombre d’entre nous sommes psychologiquement éprouvés par ces longs mois de crise. Question vertigineuse, mais essentielle et féconde, qui nous invite à repenser notre rapport au travail et la place qu’il occupe dans nos vies, d’un point de vue personnel autant que sociétal.

Donner un sens à sa vie en se sentant utile, réellement utile : telle serait la mission sacrée du travail. Produire quelque chose qui ait une réelle valeur, pour soi, pour l’autre, pour la société… et au fond peut-être aussi pour l’humanité et pour la planète Terre.

 

 

Au fond, il s’agit bien plus de travailler que d’avoir un travail

Travailler est une expérience concrète qui nécessite un engagement du corps, de l’esprit et de l’affect. Il s’agit d’apprivoiser la technique, de penser son corps dans l’espace, d’écouter les cliquetis de la machine, d’observer les réactions produites, d’ajuster sans cesse le geste, de prendre la bonne décision. Car tel un artisan, le professionnel façonne son ouvrage et le remet sans cesse sur le métier. Car tel un artiste, le professionnel inscrit son activité dans un processus de création permanent. Du moins, est-ce à cela que nous aspirons, à la condition que l’environnement de travail dans lequel nous sommes nous autorise à agir en pleine responsabilité de nos actes et de nos pensées.

 

« Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. Polissez-le sans cesse et le repolissez. Ajoutez quelque fois, et surtout effacez ». Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX, L’Art Poétique

 

Le travail est action: action sur le monde et vecteur de transformation de soi, et pour cela il exige toujours un engagement de l’être. Et c’est bien là que réside la réalité du travail : non pas dans les définitions de postes ou de métiers, ni dans les référentiels de méthodes et techniques, encore moins dans les organigrammes des entreprises. L’essence du travail c’est ce corps à corps avec l’ouvrage, la perception des imprévus, la bataille avec ce qui résiste, pour inventer de nouvelles façons de faire. Inventer sans cesse, expérimenter, échouer, recommencer, jusqu’au plaisir de l’ouvrage abouti.

Voilà où vient s’ancrer la question du sens.

 

En psychologie, la notion de sens renvoie au fait de faire une expérience cohérente, consistante et équilibrante. Pour donner du sens au travail, il est nécessaire :

  • Que le travail ait un but, une fonction, de la valeur, de l’importance,
  • Que le travail accompli soit cohérent avec les valeurs et les attentes de la personne qui l’accomplit.

Le sens au travail se situe donc à l’interface de l’individu, de son activité et de l’environnement socio-relationnel.

 

 

Sens au travail, santé et engagement

Le travail n’a pas de sens en soi. Il a le sens qu’on lui donne. La quête de sens est un chemin, une démarche, une quête individuelle qui appartient à chacun. Il peut être favorisé ou au contraire empêché par l’environnement professionnel dans lequel on se trouve.

S’occuper du sens au/du travail n’est pas un effet de mode. C’est un enjeu qui surgit aujourd’hui sous forme de crise de sens, mais l’enjeu était présent bien avant. Seulement, nous n’avions peut-être pas encore les mots pour le dire et nous n’osions peut-être pas remettre en question le modèle établi. Nous sommes à la croisée des chemins, entre la fin de l’ère du labeur et de la subordination, et l’émergence de l’ère de l’ouvrage et de la coopération.

Les récente études ont montré que le sens au travail est le meilleur prédicteur d’une bonne santé et d’un fort engagement. Il est donc un préalable à toute forme de performance durable. Il ne permet pas seulement d’éviter le mal-être et la maladie: il contribue à l’équilibre de la vie, rendant possible un bien-être physique, psychologique et social.

Lorsqu’il n’y a plus de sens, c’est l’épuisement, la dépression, le non-sens existentiel, cette forme de souffrance au travail que l’on nomme désormais le brown-out. Il s’agit d’un concept récent pour désigner une réalité qui ne l’est pas: la perte de sens au travail. En français, on peut parler de « démission intérieure ». Les trois notions de burn-out, brown-out et bore-out ont ceci en commun qu’elles désignent des formes d’épuisement professionnel. Il existe bien sût des porosités entre ces trois formes d’épuisement, mais elles décrivent des situations différentes et importantes à différencier, car les facteurs de risque ne sont pas les mêmes et les actions de prévention différentes. Le burn-out est un épuisement professionnel par surcharge de travail et surinvestissement; le bore-out est un épuisement professionnel par sous-charge et ennui; le brown-out est un épuisement professionnel par perte de sens et d’engagement.

 

 

Quel est l’enjeu pour l’entreprise et pour chacun de nous ?

Celui de rendre possible la rencontre entre la quête de sens des individus et la proposition de sens de l’entreprise. Le sens AU travail appartient à chacun. Ce n’est pas à l’entreprise de dire ce qui fait sens dans ma vie. Il s’agit d’une quête personnelle. L’entreprise, elle, a à travailler sur le sens DU travail, c’est à dire sur les conditions de réalisation du travail. Autrement dit, il s’agit pour l’entreprise de donner aux candidats comme aux collaborateurs de bonnes raisons d’en être et pour chaque personne d’avoir de bonnes raisons d’en être.

 

Pour l’entreprise, l’enjeu est de prendre soin des personnes et de prendre soin du travail.

Cela passe notamment par le fait de promouvoir l’autonomie et la confiance, faciliter l’apprentissage, promouvoir une organisation apprenante, permettre la résolution de problème, protéger la santé et la sécurité, faciliter la gestion des conflits, reconnaitre et faire connaître l’utilité du travail, permettre le développement des compétences et donner des perspectives d’évolution.

 

Pour chacun de nous, il s’agit de se connaitre et d’agir.

Se connaitre soi-même: s’engager dans une démarche active de développement personnel pour se connaitre, comprendre les drivers psychologiques qui nous gouvernent, avoir conscience de ses besoins, de ses attentes, de ses capacités comme de ses limites.

 

Être le pilote de son projet: être actif dans son développement professionnel, en abordant son projet professionnel comme un chemin de construction personnelle, en abordant les difficultés et les échecs comme des expériences enrichissantes. Cette connaissance de soi est nécessaire pour faire des choix alignés avec sa propre quête.

 

Soigner les relations: adopter une posture relationnelle responsable, libérée des jeux psychologiques stériles du triptyque bourreau-victime-sauveur. En se nourrissant des autres, de leur richesse, de leurs différences. Pour cela, les formations sur les compétences comportementales et relationnelles sont de formidables tremplins de progrès.

 

(Ré)apprendre à gérer son temps et son espace: à l’aune de l’hybridation du travail, nous avons besoin de construire de nouveaux repères spatio-temporels pour en tirer le meilleur avantage au service d’un équilibre vie pro / vie perso. Il est aussi important de ne pas oublier que le travail est un espace de création de sens, mais qu’il n’est pas le seul. Veillons à ne pas tout investir dans notre activité professionnelle et à laisser la place, dans son esprit comme dans son emploi du temps, à d’autres activités et richesses relationnelles. Et peut-être aussi, réapprenons le plaisir de l’ennui, en s’accordant des moments sans aucune activité, pour laisser son esprit divaguer et son cerveau construire de nouvelles routes.

 

 

En conclusion

La quête de sens au/du travail est une aventure humaine individuelle et collective.

Si l’on souhaite que le travail devienne un espace d’émancipation, gardons-nous d’une injonction au sens à tout prix. A chacun de choisir la nature de son investissement. Essayons simplement de le faire en pleine conscience.

Et si nous aspirons à un sens partagé pour une utilité sociale du travail, débattons, débattons et débattons encore. Une quête ne cherche pas de réponse définitive, elle est un chemin, une expérience à faire et à refaire, et surtout à partager.

 

 

Nathalie BARDOUIL, présidente OPUS Fabrica

 

 

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