La coopération, un orchestre sans chef ?

Sur le plan étymologique, lorsqu’on s’intéresse aux racines du mot coopération, l’action de la coopération, donc le verbe d’action coopérer, celui-ci se divise en deux mots qui nous donne des indices. Il est composé de « Co » ensemble et « Operare » qui veut dire œuvrer.

Coopérer, c’est alors être coauteur d’une œuvre commune. C’est la définition la plus simple et la plus parlante que l’on puisse donner au mot coopération.

 

 

Les quatre piliers fondamentaux

Lorsque l’on se met en situation d’observation de la coopération au travail, on s’aperçoit qu’elle a souvent été avortée ou empêchée par des facteurs multiples, variés, qui ne dépendent pas forcément de l’individu, mais aussi de l’organisation, du type de management et du contexte économique. Tous ces éléments peuvent contribuer à une mauvaise mise en place de la dynamique de coopération.

Il y a quatre points essentiels que l’on peut aborder pour comprendre à quel point la coopération est sensible.

 

  • Le premier, qui est extrêmement important, c’est le temps, celui que nous consacrons à développer la coopération. C’est un paramètre qui est fondamental à la création du lien au travail et parfois, l’organisation du travail comme notre propre organisation ne nous en donnent pas suffisamment. Il faut donc composer avec ce temps réduit.

 

  • Le second facteur est la confiance, il est étroitement lié au premier puisque faire confiance est un long processus. Cette notion est indispensable, puisque si je veux coopérer avec toi, il est nécessaire que je te fasse confiance. Donc s’il n’y a pas de temps, il n’y a pas de confiance, et s’il n’y a pas de confiance, il n’y a pas de coopération. C’est pour cela que ces deux paramètres se complètent et sont indissociables.

 

  • Ensuite, il est important d’aborder le sentiment d’équité. Tout le monde doit se trouver sur un même pied d’égalité. Si l’on ressent un déséquilibre ou une disparité entre les membres d’une équipe, la coopération risque d’échouer. Cela constitue alors le rôle du manager que de veiller à l’équité dans le groupe.

 

  • Et enfin, ce qui est vraiment important, auquel on ne pense pas souvent, c’est l’acte volontaire. Cela signifie que si je m’engage à coopérer, je dois le faire volontairement. On ne peut pas imposer la coopération à un individu, car dans ce cas, nous parlons de collaboration, qui vise alors à diviser le travail. Être co-auteur d’une œuvre commune signifie que j’ai choisi de m’engager volontairement dans cette coopération et il est important d’évoquer que, dire non est un choix possible.

 

 

Collaborer ou Coopérer

Ces deux concepts bien que complémentaires et tous deux au service du projet commun, doivent être différenciés, car le type de leadership qui les sous-tend, leur mise en application et leurs impacts sont ne sont pas les mêmes.

La collaboration réside dans le fait de diviser le projet commun en tâches selon les compétences individuelles des membres de l’équipe. Cette répartition des missions est définie selon un cadre, des règles de fonctionnement et une pratique de l’exercice qui auront été prédéfinies. Par ailleurs, elle nécessite la présence d’un leader qui donnera aux collaborateurs la direction, la cadence, la forme de l’exécution et la dead-line du projet. Le résultat final est de la responsabilité de ce dernier.

La coopération envisage l’opérationnalisation du travail, comme une participation à une œuvre commune, où la créativité de chaque coopérateur est sollicitée. Elle interroge le sens de ce qui est fait et prend soin des valeurs communes au fur et à mesure de l’avancée du projet. Elle engage les coopérateurs à enrichir leur sens critique, à respecter le sentiment d’équité individuel et à développer leur fierté d’appartenance à l’œuvre ainsi qu’au groupe porteur de cette œuvre.

L’une n’exclut pas l’autre, bien au contraire. En fonction des objectifs, des contraintes et des phases de projet, l’équipe peut mobiliser la coopération ou la collaboration. C’est une forme d’agilité. Mais si la coopération favorise une bonne collaboration, l’inverse n’est pas forcément vrai.

 

 

De chef d’orchestre à manager, ou comment améliorer la coopération 

Apporter une amélioration, c’est la partie applicative de la coopération. C’est expliquer les rouages du management par la coopération ou la coopération managériale. Pour ce faire, prenons l’exemple du chef d’orchestre et conférencier Michel Podolak.

 

Il se définit comme étant un citoyen du monde, ce qui illustre parfaitement l’idée de la coopération.
Il explique alors ses expériences de chef d’orchestre, et dit que pour que la coopération se mette en place dans un orchestre, il est nécessaire de savoir écouter, mais amener également les personnes que l’on dirige à savoir s’écouter les uns les autres.

L’écoute mutuelle est en fait un exercice complexe, parce que nous avons l’habitude de nous entendre, ce qui est tout à fait différent. On peut alors voir des similitudes avec le rôle du manager et des personnes qu’il manage. Comment s’écouter ? Qu’est-ce que l’on écoute ? Qui on écoute ? Que donne-t-on lors d’un échange ?
Le principe de la coopération, est donc de savoir s’écouter et savoir quoi donner et à qui.
C’est sur cet équilibre que le manager doit jouer en permanence.

 

Michel Podolak explique également que le rôle du chef d’orchestre et par conséquent, celui du manager, est de donner des règles d’écoute qui vont influer sur les relations interindividuelles dans le groupe et dans l’orchestre. Il relève alors un autre point fondamental qui est de savoir comment emmener le groupe vers et dans la complexité, guider chaque membre de son orchestre vers un exercice de plus en plus complexe.

 

Finalement, le chef d’orchestre ainsi que le manager sont ceux qui montrent la direction. Ils prennent alors l’entière responsabilité du chemin emprunté. Or, manager par la coopération signifie partager la responsabilité, le manager n’est plus seul à montrer et décider de la trajectoire à prendre. Il faut alors réfléchir aux personnes avec qui coopérer, puisque chaque individu constituant le groupe, devra choisir le chemin qu’il souhaite prendre.
Un changement de posture qui peut être difficile pour le manager, puisqu’elle fait écho à son ego. Il s’agit alors de laisser plus d’espace aux personnes avec lesquels il décide de coopérer, afin de leur permettre de prendre des responsabilités.

Voilà sur quels outils le manager peut s’appuyer, afin d’améliorer la coopération au sein du groupe.

 

 

La coopération sous différentes formes

Stéphanie DAMERON est Professeure à l’Université Paris-Dauphine depuis 2009. Elle dirige les enseignements de stratégie d’entreprise et fonde la première chaire de la Fondation Dauphine sur les questions du management et de la diversité. En 2011, elle crée la chaire “Intelligence économique et Stratégie des Organisations”.

Elle décide, dès 2005, de concentrer ses recherches sur les processus de construction et/ou de déconstruction des dynamiques de coopération au travail, constatant que « la compétitivité des entreprises dépend plus que jamais de leur capacité à développer et exploiter des relations coopératives non seulement avec l’externe, mais aussi en interne »,

Pour observer au plus près les processus en jeux, elle réalise simultanément deux études, l’une au sein d’un groupe de projet de PSA (Peugeot Société Anonyme) et l’autre au sein d’un groupe de projet de SITA (Filiale de Suez Environnement).

Elle décrit alors les résultats obtenus dans la Revue Française de Gestion.

 

Pour Stéphanie DAMERON, la coopération entre les membres d’une même équipe en vue de l’élaboration d’un projet commun n’est pas un processus simple. Elle part du postulat que la coopération oscille entre deux formes à priori antinomiques :

La coopération complémentaire et la coopération communautaire.

L’une repose sur le calcul et l’opportunisme et l’autre sur le besoin d’appartenance à un groupe. L’autrice note que « loin de s’exclure, les deux formes de coopération s’entremêlent et se génèrent mutuellement » sans qu’aucune ne prédomine jamais sur l’autre. C’est le degré d’avancement du projet qui va déterminer la forme de coopération en jeu. Cet enchaînement s’effectue suivant trois phases :

 

  • Une phase d’initialisation, pendant laquelle la coopération communautaire prédomine nettement et au cours de laquelle les membres du groupe-projet élaborent le projet, distribuent les tâches et finalisent le recrutement des compétences.
  • Une phase de transformation, dominée par la coopération complémentaire. Les membres du groupe-projet se replient sur l’action en s’emparant des tâches qui leur ont été allouées individuellement. Cette phase est une phase de turbulences où les interactions entre les membres du groupe sont multiples et complexes. Contrairement à la phase d’initialisation, ici, la construction de règles ad hocs’impose. À la fin de cette phase, le groupe s’est réorienté, restabilisé et a trouvé une nouvelle forme identitaire.

Et enfin,

  • Une phase de cristallisation qui retrouve les attributs de la coopération communautaire dans la concrétisation du projet. Le groupe-projet renégocie des engagements avec les partenaires externes et de nouveaux partenaires. Les objectifs du projet se redéfinissent en fonction des difficultés qui apparaissent avec la réalisation effective du projet.

 

Selon elle, la coopération est un processus développemental qui s’élabore, se modifie, se réajuste, tout au long de la construction du projet, à charge des managers de savoir maintenir les relations coopératives au sein de leurs équipes en fonction des besoins et de l’avancée du projet.

La conception duale de l’action coopérative de Stéphanie DAMERON est particulièrement intéressante, car elle amène le manager à investir une posture de « capteur », saisissant les ressentis, les désirs et les besoins des personnes placées sous sa responsabilité, au fil du projet. Il encourage les deux formes de coopération au fur et à mesure que se structure le projet en s’appuyant sur les membres de son équipe, plus ou moins sensibles à l’une ou l’autre forme de comportement coopératif. Le principe de dualité coopérative permet également au leader de focaliser son attention sur « sa propre capacité à gérer l’ambiguïté des objectifs, à mener à bien les processus d’enrôlement à la fois dans leur nature fonctionnelle et sociale, et à maîtriser l’instabilité des frontières de son équipe ».

C’est peut-être dans la gestion de ces mécanismes de passage d’une logique de comportements à une autre que l’autorité du leader trouve désormais son sens.

 

 

Au-delà de la psychologie 

La coopération, au-delà d’un sujet psychologique qui influence les organisations de travail et les individus, est également un sujet philosophique.

La coopération est finalement une mission de survie. Elle facilite l’intégration, l’entente entre les humains et les peuples. Lorsque l’on retrace notre histoire, on remarque que les civilisations qui n’ont pas pu coopérer ou qui n’ont pas su coopérer ont disparu.
Lorsque l’homme ne coopère plus avec son contexte naturel, il se met en danger. Certains parlent même d’une fin inévitable de l’être humain, en raison de son manque de coopération avec la nature.

Finalement, la coopération, c’est un autre rapport au travail, certes, mais c’est avant tout un autre rapport au monde et nous pouvons dire que pour survivre nous avons tous besoin de coopérer.

 

 

 

Corinne RIVIERE, psychologue du travail et consultante pour OPUS Fabrica

 

 

 

Découvrir les travaux de Stéphanie DAMERON :  https://youtu.be/_bI8TVFtRyU

 

Lire aussi : https://opus-fabrica.fr/publications/liberer-les-ressources-de-cooperation/

 

 

 

 

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