Manager les générations

Actuellement, quatre générations d’individus sont en activité. Elles vivent ensemble.

Certains diront « condamnés à vivre ensemble », parce que, oui, c’est un fait, les relations entre les générations sont souvent tendues, compliquées et complexes, parfois même violentes, empreintes d’incompréhension mutuelle. Quand d’autres, plusoptimistes, voire plus chanceux, affirmeront que cette diversité, au contraire, enrichit leur quotidien.

Dès cette brève introduction, nous faisons le constat que la subjectivité est la pièce maîtresse de notre rapport à l’autre, de notre rapport aux autres, et plus globalement encore de notre rapport au monde.

Cette thématique de l’intergénérationnel n’est pas neutre. Elle concerne chacun d’entre nous et elle a un impact fort sur notre vie privée et sur notre vie professionnelle, quel que soit notre âge ; elle concerne chaque strate de la société. Personne n’y échappe.

 

LA DÉFINITION DU CONCEPT DE GÉNÉRATION

 

Selon L’INSEE (2020), « désigne l’ensemble des personnes nées la même année civile. Exemple : la génération 1946 »1

Mais on va voir que la génération, comme l’annonce l’historien français, Michel Winock, est « un concept dont l’usage est spontané, mais la définition ardue » (Winock, 1989)2.

 

Génération : (latin generatio, -onis, de generare, engendrer) « Ensemble des personnes vivant dans le même temps et étant à peu près du même âge »

Larousse (https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/génération/36537) Consultée le 09.05.2023 à 12h42

Les générations en activité :

  • Babyboomers (1946-1966) – ils ont entre 57 et 77 ans
  • Génération X (1966-1980) – ils ont entre 43 et 57 ans
  • Génération Y ou génération du nouveau millénaire (1980-2000) – ils ont entre 23 et 43 ans
  • Génération Z : (>2000) – ils ont au plus 23 ans
  • Génération Alpha : (à partir des années 2010) – ils ont au plus 13

 

 

Le concept de génération, sorti de la classification par tranche d’âge, est un concept multicritère, profondémentsubjectif, lié au sentiment d’appartenir à un même groupe, une même entité. On se reconnaît car on incarne une identité commune.

 

Nous sommes empreints de préjugés sur l’autre, celui qui fait partie de l’exogroupe. L’autre, dont le comportement est différent du nôtre, voire parfois radicalement différent du nôtre.

Dont l’habillement nous paraît ridicule, parfois frisant les limites de la décence ; Dont le vocabulaire revêt des versants parfois énigmatiques ;

Toutes ces particularités qui font d’une génération ce qu’elle est.

 

Nous le voyons bien, ce n’est pas la date de naissance des individus qui crée une génération, mais plutôt le contexte culturel, social, économique et géopolitique dans lequel ils évoluent ou ont évolué.

 

Cette théorie générationnelle débouche sur une classification des générations qui s’articule autour de 4 archétypes : lehéros, l’artiste, le prophète et le nomade. Ce qui est particulièrement intéressant c’est que cette théorie nous laisse entrevoir quechaque époque a eu ses générations qui lui sont propres, et qu’il existe une forme de renouvellement cyclique des générations. À chaque époque reviennent les mêmes archétypes.

Tout n’est qu’éternel recommencement, à commencer par le cycle des générations et leurs particularités.

 

Ce qui nous amène à conclure que nous sommes ce qu’ils vont être et ils sont ce que nous avons été, irrémédiablement.

 

Jusqu’ici rien de vraiment nouveau.

 

Pourtant il existe un facteur qui diffère de tout ce qui a pu se passer auparavant, de tout ce qu’ont pu connaître toutes lesgénérations précédentes : la transmission du savoir.

 

Comment ces différences se sont-elles installées ?

 

 

–       La gestion de la contrainte :

Nos parents nous ont appris à ne pas jeter, à ne pas gâcher, à éteindre les lumières quand on sort d’une pièce. À être poli avec les autres et plus particulièrement avec les adultes. Ce que les générations suivantes ont parfois du mal à comprendre, ne saisissant pas forcément le sens donné à cet exercice. Il faut leur expliquer.

 

–       La gestion de la frustration :

Les générations Babyboomers et X ont appris à attendre, longtemps, parfois très longtemps avant d’obtenir uneinformation, un courrier qui arrivait par la poste, ou un objet commandé par téléphone. Pour aller en vacances, nous prenions les nationales, c’était interminable mais nous le faisions avec bonheur car nous partions en vacances. Bon il ne faut pas tomber nonplus dans l’idéalisme d’un temps aujourd’hui révoqué. Tout n’était pas glorieux non plus n’est-ce pas ? Je me souviens d’être avec mon frère dans la DS de mes parents qui avait des suspensions tellement molles que ça nous donnait des hauts le cœur. Nous étions sur la banquette arrière, sans ceinture, entourés d’un épais nuage de fumée de cigarette parce que notre père fumaitcomme un pompier, à l’intérieur de l’habitacle, toutes fenêtres fermées pour optimiser la clim dont il était si fier.

Les jeunes générations ne pourraient plus concevoir ça aujourd’hui, et c’est tant mieux. Et n’oublions pas que la générationdes Babyboomers est à l’origine d’une société de surconsommation qui a engendré des adeptes du tout-jetable, du tout accessible, du « je veux tout, tout de suite », sans interruption, 24h/24 – 7J/7 et qui a grandement participé à leur difficulté de gestion de la frustration individuelle et collective.

 

–       La stabilité :
  • Concernant la vie privée : même si le divorce était devenu possible, rares étaient les couples qui se séparaient. Il était encore de bon ton de chercher à se caser rapidement après la majorité, de fonder une famille, avec enfants, pavillon, jardin et animal de compagnie.
  • Du travail : il n’était pas rare de rentrer dans une entreprise et d’y faire carrière. Et faire carrière à l’époque, signifiait qu’on y restait toute sa vie.

 

Reprenant les mots du philosophe Michel Serres, il attire notre attention sur le fait qu’un individu nouveau estapparu, qui a évolué sur un temps extrêmement réduit, qui ne communique pas de la même façon et qui n’a pas la même perception du monde que les autres.

Pourquoi ? Aujourd’hui, explique Olivier Revol, les donneurs de valeurs ne sont plus les mêmes. Pour nous (lesBabyboomers) les donneurs de valeurs étaient la famille, l’école, l’armée, l’entreprise. Mais aujourd’hui, il en va autrement pour ce nouvel individu. En effet celui-ci évolue, développe ses connaissances et élabore ses propres valeurs sans l’intervention des organisations de socialisation traditionnelles – que sont la famille concernant sa socialisation primaire et l’école, puis l’organisation de travail pour sa socialisation secondaire. Les agents socialisateurs, font face, démunis et impuissants,à une réelle rupture dans la transmission de l’information. C’est une première dans l’histoire des générations.

 

Il faut savoir que dans l’histoire de la transmission des connaissances, il y a eu 3 grandes révolutions :

  • L’écriture
  • L’imprimerie
  • Et l’arrivée de l’internet en

 

L’internet a totalement bouleversé le rapport de l’individu à l’éducation, à la pédagogie, dans le soin, dans le management, dans le rapport à l’autre.

Jusqu’à l’arrivée d’internet, la transmission était descendante, verticale, des parents vers l’enfant, du professeur vers l’élève, du patron vers l’employé. Ce qui était dit n’était pas ou rarement contesté, car il n’y avait pas de solution pour accéder à l’information juste et immédiate. Ce qui était affirmé était la vérité.

 

Avec internet, le mode communicationnel entre la nouvelle et l’ancienne génération s’est profondément transformé. La transmission de  l’information s’est horizontalisée.

Les jeunes n’ont plus besoin d’écouter religieusement leurs parents ou leurs profs pour accéder au savoir.

 

Or, ce lien de transmission était comme un fil rouge qui traversait les générations, les tenait ensemble, comme unvéritable ciment social et ce fil rouge forçait le respect d’une génération à l’autre. Qu’il soit parent, enseignant, ou patron, l’adulte tenait auprès du jeune, un rôle important, socialisant, structurant, parce qu’il avait une position particulière, celle de détenir le savoir. L’autorité était alors instaurée de fait, comme une sorte de hiérarchie naturelle régissant les générations entre elles.Chacun était à sa place de façon rassurante, les rôles étant clairement distribués et pleinement assumés par les différentes générations.

 

Nous avons tous été élevés dans l’immersion d’une valeur séculaire : le respect. Le respect des générations précédentes, des plus anciens, qui avaient quelque chose à transmettre, à apprendre : « Si tu les écoutes avec attention (avec respect) tu iras plus vite, plus haut, plus fort ».

 

Mais qui a appris aux Y à se créer un compte sur Tinder, sur Facebook, sur Pinterest ? Qui leur a appris à se connecter sur tous ces outils digitaux ? leurs parents ? Non.

Ils ont avancé par tâtonnements successifs seuls ou accompagnés de leurs pairs.

Dans ce modèle de la transmission inter générationnelle, aux yeux des plus jeunes, les plus âgés (parents, managers) perdent leurlégitimité. Et la tension réside à ce croisement des routes.

 

Seule solution : retrouver sa légitimité. C’est un peu déconcertant comme solution, mais finalement c’est plutôt dynamisant car il faut se décentrer pour pouvoir se réinventer.

 

Pour gérer des générations différentes dans une même famille, une même équipe, une même classe, il est essentiel de s’intéresser aux valeurs, aux besoins primaires et secondaires, aux intérêts et motivations individuels de chaque membre du groupe. Cela nécessite du respect, de l’écoute et du positivisme. Les différences ne sont pas envisagées comme une succession de handicaps, mais plutôt

comme une véritable richesse pour le collectif.

 

Il est capital pour le jeune qu’il soit guidé sans pour autant que la solution lui soit proposée.

 

Une étude récente a été réalisée auprès de 6800 jeunes salariés de 11 pays européens : 75% d’entre eux reconnaissent à leur supérieur hiérarchique direct un impact significatif ou très significatif sur leur attachement à leur entreprise.

La clé est là.

 Les jeunes sont plus sensibles à ce que vous êtes, à la relation qu’ils entretiennent avec vous et avec leurs camarades ou leurs collègues, qu’à l’institution à laquelle ils semblent beaucoup moins sensibles, moins attachés. Il faut passer du temps avec eux (challenge pour les managers), pour échanger, créer cette relation de proximité nécessaire au sentiment d’attachement. Attention toutefois à faire de vos jeunes des êtres autonomes capables de venir vous voir avec, par exemple, la solution à un problème qu’ils viennent de rencontrer. Il ne faut pas être le fournisseur officiel de solutions. Vous n’assoirez pas votre légitimité en étant omniprésent, en imposant votre expertise et vos compétences terrain. Gardez- vous de cecomportement quasi instinctif qui est de voler au secours de celui qui demande de l’aide. Pour cela, deux questions essentielles à leur poser :

  • Qu’en penses-tu ?
  • Que proposes-tu ?

 

Développez chez chacun la pro activité pour les responsabiliser, les impliquer, les motiver et créer une relation de confiancestable qui les fera grandir. Cette génération préfère réussir sa vie au fait de réussir dans la vie.

Nous ne pouvons plus ignorer que notre société est en transformation. Il est important de comprendre que notre avenir à touteset à tous consistait dans l’inclusion et pas dans l’exclusion, l’humain est au cœur du système. Pour faire venir et pour retenir lesjeunes de la nouvelle génération, il va falloir les convaincre que ce qu’on leur fait faire a du sens.

 

Corinne RIVIERE, psychologue du travail et consultante pour OPUS Fabrica

 

 

Lire aussi : https://opus-fabrica.fr/publications/cooperation-diversite/

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