La fin du management ?

Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain

Dans un précédent article, je parlais de leadership éthique, de liberté et d’autonomie. Dans le débat actuel sur le futur du travail, le principe même du management est questionné, voire totalement remis en question par certains. On peut lire, ici et là, que le temps du management serait révolu. Certains cherchent même déjà le nouveau nom que l’on pourrait donner à cette fonction managériale revisitée. J’entends de plus en plus souvent des discours assez caricaturaux opposant le manager au leader, réduisant la figure du manager au « chef » ou au « boss » dominant et opprimant, qui donne des ordres, des bons points, qui ne sait pas écouter…

Lorsqu’un modèle ne répond plus aux attentes, la tentation est grande de basculer dans une analyse manichéenne, ré-ordonnant les choses selon les deux principes du bien et du mal. Nous savons pourtant que la réalité est beaucoup plus complexe. Ce qui peut être sous-tendu par une intention sincère de faire le bien, peut malheureusement parfois générer plus de souffrance qu’il n’améliore les situations. Quant aux situations que l’on dénonce après les avoir accepté longtemps, on oublie parfois, au moment de leur procès, de regarder en face les bénéfices qu’elles apportaient.

Il m’apparait essentiel de prendre garde à ce que notre réflexion actuelle sur l’évolution nécessaire du management ne s’enferme pas dans les classiques jeux psychologiques modélisés en analyse transactionnelle par le triangle dramatique du sauveur, de la victime et du bourreau. Alors que l’on appelle à la bienveillance, l’écoute et l’empathie managériales, a-t-on un instant pensé à la violence de certains discours critiques en vogue sur le management pour celles et ceux qui sont managers et ne se reconnaissent pourtant pas dans ces descriptions ?

Le management paternaliste et infantilisant, le management brutal et déshumanisant, le dictat des chiffres et du reporting, sont sans aucun doute des machines à fabriquer de la souffrance et du désengagement. Mais faut-il réduire le management à ses formes les plus nocives?

A l’autre bout du continuum, nous trouvons le modèle de l’entreprise libérée qui a été développée dans de nombreuses entreprises. Ces expérimentations ont permis de tirer des enseignements riches car, en plaçant les personnes dans des environnements de travail structurés différemment, on s’est donné la possibilité de dévoiler des ressources jusque-là empêchées. Mais les retours d’expérience de la libération de l’entreprise ne sont pas toujours positifs et nombre sont les entreprises qui ont fait machine arrière. Des témoignages ont mis en évidence que cette approche de l’organisation du travail peut générer de la souffrance.

Le réel n’est ni lisse ni uniforme. Il est mouvement, énergies contradictoires et complémentaires. L’être humain n’est ni bon ni mauvais: il est pulsion de vie et pulsion de mort, il est créateur et destructeur. La liberté, elle, ne souffre ni le dogme, ni l’idéologie. Elle implique la contradiction et le débat permanent. Parler de leadership éthique c’est aussi rappeler l’éthique de la discussion du dialogue platonicien.

 

Ainsi, au lieu de condamner à mort le management, ne s’agit-il pas plutôt de penser collectivement un nouveau modèle de gouvernance de nos entreprises?

Le leadership éthique appelle à trouver un équilibre psychosocial, prenant en compte:

  • la raison d’être du dirigeant et sa déclinaison dans celle de l’entreprise,
  • les enjeux stratégiques et financiers,
  • le besoin fondamental d’appartenance au collectif,
  • les besoins de structuration et de nécessaire régulation des groupes,
  • la diversité des aspirations et des besoins des individus,
  • le pilotage des activités et de la qualité.

 

Dès lors, le leadership éthique ne peut pas être la seule affaire des managers. Il s’agit d’engager une transformation qui engage tous les acteurs de l’entreprise: dirigeant.s, responsables des relations humaines, managers de proximité, représentants du personnel et collaborateurs.

 

 

Pouvoir et responsabilité

Dans ma propre entreprise, souvent sur le ton de l’humour, j’entends mes collaborateurs m’appeler « cheffe » ou me présenter aux visiteurs en disant « c’est notre cheffe ». A titre personnel, j’ai toujours beaucoup de mal avec cette désignation car dans mon univers sémantique je l’associe très fortement à la notion de pouvoir et donc de lutte de pouvoir, cela même contre quoi je suis engagée depuis fort longtemps. Mais cette résistance morale se confronte à des éléments de réalité que je ne peux nier : en tant que cheffe d’entreprise, il est vrai que j’ai « le pouvoir » de prendre des décisions que les autres ne peuvent pas prendre. Pour autant, je ne suis pas la seule à avoir du pouvoir décisionnel et des responsabilités. J’ai notamment mis en place un comité de direction avec qui je partage le pouvoir décisionnel. Et plus largement, chaque collaborateur de notre collectif a également le pouvoir d’agir. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que dans une démarche participative nous ayons choisi comme signature de notre marque « Se donner le pouvoir d’agir« . Cela vaut autant pour nos clients que pour l’ensemble de nos collaborateurs.

Dans cette conception du pouvoir, il est essentiel que soit clairement définis les périmètres de responsabilité de chacun, en étant vigilant à ce que chacun occupe un territoire de responsabilité qu’il souhaite occuper et qu’il se sent en capacité d’occuper. Le pouvoir n’est pas la chasse gardée du management, mais bien un territoire de coopération et responsabilités partagées.

 

 

Pouvoir d’agir n’est pas pouvoir sur l’autre

Dans notre entreprise, il y a deux ans, nous avions mené une enquête interne et l’ensemble des collaborateurs avaient réclamé plus de pilotage d’activité et de management de proximité. J’ai donc dû remettre en question mon aspiration à une organisation horizontale pour répondre aux attentes et besoins de nos équipes, sans toutefois renoncer à l’autonomie et la responsabilité individuelle auxquelles je crois beaucoup. Ainsi, lorsque que j’ai nommé des managers, en l’occurence des directeurs d’activité et des responsables de service, je leur ai confié des responsabilités, mais en aucun cas le droit d’exercer un pouvoir sur leur équipe, car le pouvoir décisionnel n’est pas pouvoir sur l’autre.

 

 

Leadership éthique et management relationnel

La mission du manager c’est avant tout de « rendre possible« . Pour cela le manager doit être en capacité d’avoir une vision systémique qui croise les enjeux macro et les besoins singuliers. Cela implique également de savoir écouter, analyser, synthétiser, faciliter les échanges, animer le collectif, être ouvert à la diversité. Avoir une responsabilité managériale implique enfin de savoir et de pouvoir prendre des décisions.

Le futur du travail appelle-t-il la disparition du management? Je ne le crois sincèrement pas. Il reste une fonction utile et nécessaire, tant pour la performance économique de l’entreprise que pour l’accompagnement humain. Le temps du management-contrôle est révolu. Place donc au management relationnel !

 

 

Nathalie BARDOUIL, présidente OPUS Fabrica

 

 

 

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