Dans un contexte économique et social en constante évolution, les organisations font face à un défi majeur : celui d’attirer, développer et fidéliser les talents nécessaires à leur performance et leur pérennité. Comme le souligne Lynda Gratton dans son ouvrage « The 100-Year Life » (2016), les carrières linéaires et prévisibles ont laissé place à des parcours professionnels multiples, discontinus et personnalisés.
Face à cette réalité, les entreprises doivent repenser en profondeur leur approche de la gestion des carrières et du développement des compétences. L’enjeu n’est plus seulement de pourvoir des postes, mais d’accompagner des trajectoires individuelles tout en les alignant avec les besoins évolutifs de l’organisation.
Réinventer la gestion des carrières : un impératif stratégique
Pour les organisations, repenser l’accompagnement des trajectoires professionnelles est devenu un impératif stratégique, à la croisée des enjeux de performance, d’innovation et de responsabilité sociale.
Adopter une approche personnalisée et agile
La première étape consiste à passer d’une gestion des carrières standardisée à une approche plus personnalisée et agile. Comme le montre Sylvie Guerrero dans ses travaux sur la gestion individualisée des carrières (2014), il s’agit de prendre en compte la diversité des profils, des aspirations et des rythmes de chacun.
Cela implique de développer une connaissance fine des collaborateurs, de leurs compétences, de leurs motivations et de leurs projets. Des outils comme les entretiens de carrière réguliers, les bilans de compétences ou les assessment centers peuvent y contribuer, à condition d’être utilisés dans une logique de co-construction et non de simple évaluation.
Cultiver une vision systémique des parcours
Au-delà de la personnalisation, il est essentiel d’adopter une vision plus systémique et dynamique des parcours professionnels. Comme le souligne Edgar Schein dans sa théorie des ancres de carrière (1990), les motivations et les critères de réussite des individus évoluent au fil du temps et des expériences.
Les organisations doivent donc penser les trajectoires non plus comme des successions de postes, mais comme des chemins d’apprentissage et de développement continus. Cela suppose de valoriser la mobilité interne, les expériences transverses et les projets apprenants, pour offrir des opportunités d’évolution variées et porteuses de sens.
Intégrer les enjeux de diversité et d’inclusion
L’accompagnement des trajectoires doit également intégrer les enjeux de diversité et d’inclusion. Comme le montrent les travaux de Stéphanie Chasserio sur le leadership inclusif (2020), la prise en compte des spécificités de chacun (genre, âge, origine, handicap…) est un levier puissant de performance et d’innovation.
Il s’agit donc de concevoir des parcours qui valorisent la diversité des profils et des expériences, en luttant contre les biais et les stéréotypes qui peuvent freiner certaines évolutions. Des programmes de mentorat croisé, de sponsorship ou de quotas peuvent y contribuer, à condition d’être inscrits dans une démarche globale de transformation culturelle.
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Outiller les managers pour un accompagnement bienveillant et efficace
Si la fonction RH a un rôle clé à jouer dans la refonte des processus et des outils, ce sont les managers qui sont en première ligne pour accompagner au quotidien les trajectoires de leurs collaborateurs.
Former aux nouveaux rôles d’accompagnement
Il est donc essentiel de former les managers à de nouveaux rôles d’accompagnement, plus proches du coaching que du contrôle. Comme le montre Marielle Audrey Payaud dans ses travaux sur le « servant leadership » (2014), il s’agit de développer une posture de facilitateur, attentif aux besoins et aux potentiels de chacun.
Cela passe par le développement de compétences en écoute active, en feedback constructif et en intelligence émotionnelle.
Responsabiliser sans déresponsabiliser
L’enjeu est de responsabiliser les managers dans l’accompagnement des parcours, sans pour autant les surcharger ou les déresponsabiliser de leurs autres missions. Comme le souligne Henry Mintzberg dans son ouvrage « Simply Managing » (2013), le rôle du manager est avant tout de créer les conditions favorables à l’épanouissement et à la performance de ses équipes.
Il s’agit donc de leur donner les moyens d’identifier les talents, de stimuler les apprentissages et de favoriser les mobilités, tout en s’appuyant sur l’expertise RH pour les aspects plus techniques ou sensibles des parcours.
Évaluer et valoriser la contribution managériale
Enfin, il est crucial d’intégrer l’accompagnement des trajectoires dans l’évaluation et la valorisation de la contribution managériale. Comme le préconise Dave Ulrich dans ses travaux sur le leadership RH (2012), les managers doivent être reconnus et récompensés pour leur capacité à développer les talents et à construire des équipes performantes sur le long terme.
Cela peut passer par l’intégration de critères spécifiques dans les objectifs annuels, par la mise en place de feedback 360° ou par la création de prix récompensant les meilleures pratiques d’accompagnement des parcours.
Créer un écosystème favorable au développement des talents
Au-delà des processus et des compétences managériales, c’est tout l’écosystème de l’entreprise qu’il faut repenser pour favoriser le développement des talents et l’évolution des trajectoires.
Cultiver une culture apprenante
La première étape consiste à cultiver une véritable culture apprenante, où l’apprentissage continu et l’expérimentation sont valorisés et encouragés. Comme le montre Peter Senge dans « La Cinquième Discipline » (1990), cela suppose de développer une vision partagée, de favoriser l’apprentissage en équipe et de penser de manière systémique.
Des dispositifs comme les communautés de pratiques, les hackathons internes ou les labs d’innovation peuvent y contribuer, en créant des espaces d’échange et de co-création transverses.
Développer des parcours flexibles et modulaires
Il est également essentiel de repenser l’architecture des parcours professionnels, en les rendant plus flexibles et modulaires. Comme le préconise Josh Bersin dans ses travaux sur le « New World of Work » (2021), il s’agit de passer d’une logique de postes à une logique de compétences et d’expériences.
Cela peut se traduire par la mise en place de référentiels de compétences évolutifs, par le développement de missions transverses ou par la création de passerelles entre métiers et fonctions.
Intégrer les nouvelles formes de travail
Enfin, l’accompagnement des trajectoires doit intégrer les nouvelles formes de travail qui émergent, du télétravail au freelancing en passant par l’intrapreneuriat. Comme le montre Laetitia Vitaud dans son ouvrage « Du labeur à l’ouvrage » (2019), ces nouvelles modalités redessinent les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle, et appellent à repenser les notions mêmes de carrière et de réussite.
Il s’agit donc de concevoir des parcours qui permettent d’articuler ces différentes formes d’engagement, en valorisant les compétences acquises dans des contextes variés et en accompagnant les transitions entre statuts.
Vers une approche intégrée et responsable des trajectoires professionnelles
En définitive, l’accompagnement des trajectoires professionnelles apparaît comme un levier stratégique majeur pour les organisations, à la croisée des enjeux de performance, d’innovation et de responsabilité sociale.
Pour relever ce défi, les entreprises doivent adopter une approche intégrée, qui articule vision stratégique, processus RH agiles, leadership bienveillant et culture apprenante. Une approche qui place l’humain au cœur, en reconnaissant chaque collaborateur comme un talent unique à développer et à accompagner dans la durée.
C’est un changement de paradigme exigeant, qui suppose de repenser en profondeur les pratiques et les mentalités. Mais c’est aussi une formidable opportunité de construire des organisations plus agiles, plus inclusives et plus performantes, capables de libérer le potentiel de chacun au service d’un projet collectif porteur de sens.
Dans un monde du travail en mutation, l’accompagnement des trajectoires devient ainsi un facteur clé de différenciation et de pérennité pour les entreprises. Un investissement dans l’humain qui s’avère être le plus sûr chemin vers une performance durable et responsable.
Nathalie Bardouil, Docteure en psychologie, présidente d’Opus Fabrica
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